Ménage à trois

Arrivée à Moorea

Le 30 mai 2017, notre premier créneau météo pour les Australes nous échappe, non amarinés, sédentarisés, le retour à la mer est un choc. Une mauvaise décision stratégique d’évitement du dévent tahitien, nous astreint à un premier bord de près forcené dans un résidu de grosse houle. Dix milles au large, notre premier virement de bord met en lumière toute la dérision de notre situation : 150 degrés d’un bord sur l’autre ! Nous pensions contourner Tahiti par son Nord, et c’est à peine la Pointe Vénus qui se dévoile devant l’étrave alors que le jour décline déjà. Après trente milles bien pénibles, nous jetons l’éponge et l’ancre dans cette baie, soulagés, dépités, gratifié d’un rhum. Nous y passeront cinq jours, le temps de se ressourcer, de retrouver du sens et de compléter l’entretien du bateau.

Contrairement à ce que « Into the wind » peut laisser penser, notre devise est bien d’aller avec la nature, jamais contre. C’est Carina qui m’a fait prendre conscience que cela signifie « contre le vent » (donc passer en force) et non pas « dans le vent » comme je le pensais qui serait mieux traduit par « In the wind ». A l’origine je voulais suggérer une filiation au film « Into the wild » qui lui, par contre, ne signifie pas « contre la nature » mais bien « retour à la nature ». Bref, voilà ce qui se passe quand un cancre fait le malin avec une langue qu’il ne maîtrise pas !

Nos appréhensions ravivées, nous quittons Tahiti pour Moorea dans les vents les plus suaves, les plus accueillants, les plus atones qu’ils nous aient été donnés de choisir. Il faut dire que nous sommes sous le vent de l’île et que ses hauts sommets créent une bulle de protection qui couvre allégrement la distance entre les deux îles. Sous gennaker, nous prenons du plaisir et de la confiance durant ces vingt quatre milles parcourus à la vitesse de l’escargot : trois nœuds de vitesse moyenne !

Dans trois jours, un créneau inespéré pour les Australes se dessine, encore meilleur que le précédent. Nous sommes maintenant dégagés de l’emprise de Tahiti, celle de Moorea bien plus faible ne devrait pas trop nous gêner. Les choses se présentent donc sous les meilleurs auspices.

A peine arrivée dans la baie d’Opunohu, sur la côte Nord de Moorea, le disque dur de l’ordinateur portable râle un coup et meurt ! Dès le lendemain, tout penaud, j’emprunte le ferry pour retourner à Tahiti. Nous sommes lundi, mais c’est un jour férié ! J’en profite pour repérer les magasins d’informatique en me demandant où je vais crécher quand un couple de polynésiens, qui m’avait repéré à marcher en tout sens dans un Papeete par ailleurs désert, me prend en charge jusqu’au lendemain : visite à la plage, nourriture en abondance, connexion internet, lit douillet, déplacements en voiture et billet retour en ferry offert ! Malgré tout, je ne peux me départir de la sensation oppressante que la belle Tahiti se rebiffe de nous voir étirer nos ailes pour d’autres horizons qu’elle. Elle me laisse visiter de retour la petite sœur Moorea, les bras chargés de présents : café, biscuits, miel, confiture. Merci à mes chers parents adoptifs, Lucien et Blanche.

La possessive Tahiti vue depuis le col de Vaiare à Moorea

La possessive Tahiti vue depuis le col de Vaiare à Moorea

L’exceptionnel créneau pour les Australes se dissout dans les manips informatique, partitionnement, chargement d’images système, mise-à-jour et backup en tout genre. L’occasion aussi d’aller plus loin dans la cohérence logicielle.

Tout remarche enfin, même mieux et nous ne perdons que très peu de data grâce aux routines de sauvegarde. Vous aurez quand même remarqué l’interruption involontaire de la trace entre Vaitupa et la Pointe Vénus, dommage collatéral de ce crash informatique. Avec l’ordinateur ressuscité, nous retrouvons notre mobilité de navigation car le GPS et la cartographie fonctionnent à nouveau.

Les blagues mi-figue mi-raisin qui ont cours à ce moment dans le giron de L’Envol tournent autour du personnage de Fantozzi, une sorte de Pierre Richard italien. Sommes-nous donc trois à bord ? Persévérons-nous sur les Australes ou nous contentons-nous de poursuivre vers l’Ouest à travers les îles Sous le Vent de la Société ?

Sur ces réflexions, dans un savoureux mélange de stop et de trek dont nous maîtrisons la recette, nous profitons prudemment de Moorea.

L’amphithéâtre de la caldeira

L’amphithéâtre de la caldeira

Deux semaines se sont écoulaient. Pas de nouveaux créneau disponible pour les Australes. Dans le grand Sud, l’hiver austral a débuté et avec lui son fracas ininterrompu de dépressions très creuses. Nous nous faisons une raison et entérinons la suite du voyage pour Huahine (îles Sous le Vent, Société). C’est une forme de soulagement, car après les atermoiements de ces derniers temps nous avons enfin un cap.

Le 19 juin 2017, nous pensons être assez forts pour nous émanciper de Tahiti et de l’île sœur Moorea. Nous mettons les voiles à 15h45 pour les 90 milles qui nous séparent de Huahine. A 19h30, nous sommes de retour et nous balançons la pioche au même endroit, Fantozzi sort de ce corps !

Notre bête noire était au rendez-vous : houle et pétole en conjonction. Peut être étions-nous encore sous le vent de l’île et fallait-il persévérer ? Nous ne le saurons jamais. Faire cette distance à la voile dans ces conditions ne nous a pas paru possible ni raisonnable. Le matériel claquait et se révulsait dans une complainte déchirante sans nous permettre d’avancer pour autant. Encore une fois, on a ravalé notre fierté et rebroussé chemin au moteur pour les quatre milles du retour sous un ciel magnifiées d’étoiles.

Ce faux départ sera l’occasion de gravir le mont Rotui qui sépare les baies de Cook et d’Opunohu. Une belle bavante dont le sommet aérien révèle, dans une vue plongeante et inquisitrice, une dimension cachée de Moorea.

Pas facile de trouver les attaques des sentiers. Notamment, celles qui mènent au col de Vaiare ou au mont Rotui, les sentiers sont rarement balisés en Polynésie française. Nos traces GPS peuvent vous être utiles à les identifier (cf. notre carte du voyage).

Le 23 juin 2017, nous sortons la pioche pour une deuxième tentative. La limite atteinte précédemment est dépassée sans difficulté mais le vent tombe à nouveau un mille et demi plus loin. Nous luttons un mille et demi supplémentaire avant de tomber sur un point dur caractérisé par des vents infimes et à contre sens. Cette fois-ci pas de doute il s’agit du retour du flux qui contourne l’île. Quarante trois minutes s’écoulent avant qu’une ample oscillation de vent permette à L’Envol de s’arracher à l’attraction de Moorea. Ce jour là, le cône de dévent doublait largement la taille de l’île en la prolongeant sept milles au NW de la passe Tareu !

Départ de Moorea

Départ de Moorea

Une navigation rapide et sans histoire nous emmène à Huahine. Nous espérons avoir laissé Fantozzi au sommet du Rotui !

Les mouillages de L’Envol :

- Baie de Vaitupa, île de Tahiti GPS 17 34.07 S 149 37.13 W
- Pointe Vénus, île de Tahiti GPS 17 29.94 S 149 29.78 W
- Baie de Opunohu, île de Moorea GPS 17 29.45 S 149 51.12 W

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La trace GPS du bateau, nos traces GPS à terre (en trek, en stop…) et nos waypoints d’escales dans les îles de la Société sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.

Publié le 21/09/2017 de la bibliothèque de Mata Utu, île Uvea, îles Wallis, Wallis et Futuna, GPS 13 17.03 S 176 10.75 W

Envie de nous donner un coup de main ? Visites la page de financement participatif de L’Envol : www.intothewind.fr/crowd-funding/ ou cliques sur le bouton « Faire un don ».








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