La Paloma

Me v’là en Uruguay ! Tchao Brasil !

7 mois pour découvrir les 1600 milles de cette côte brésilienne sud de Salvador de Bahia à Rio Grande, quasiment l’équivalent d’une transat !

Depuis quelques temps la jungle a progressivement cédée la place à un paysage plus méditerranéen, sapins et odeurs de pinède sont mes premières sensations uruguayennes, les autochtones plus typés européens et moins adipeux qu’au Brésil sont doués d’une mentalité volontiers décroissante (leur président donne le ton), le matériel et les infrastructures sont désuètes et l’ambiance d’une sérénité latente, je suis un peu comme à la maison avec le stress consumériste et l’agitation vaine en moins. Il y a matière à inspiration pour la France et ses tensions sociales, son ambiance morose.

Retour en arrière, dimanche 7/09 6h15, le jour se lève sur le Yacht Club de Rio Grande, le paysage se colore dans les tons pastel. La nav qui m’attend est la deuxième et la dernière nav un peu longue sans abris qu’il faut faire avant de pouvoir rallier par de plus courtes étapes, de ports en ports Uruguayens, la capitale de l’Argentine et du tango, la sulfureuse Buenos Aires. La journée débute par une exfiltration du long chenal de Rio Grande (15 milles) entièrement à la voile sur un seul grand bord de près serré dans un sud mollissant avec, cette fois, la marée pour moi ; je tire au plus directe coupant les méandres du chenal, surveillant le sondeur dont j’ai activé une alarme à 3m de fond sous mes quilles, elle se déclenche et un virement de bord s’imposera pour un court bord de recentrage dans l’axe du chenal et sa rassurante profondeur.

9h30, à la fin du chenal je mets du temps à sortir de l’énorme cône chocolat créé par le flux que déverse le Lagoa dos Patos dans la mer verte, la délimitation des couleurs est franche, la zone marron est agitée de belles ondulations car le courant (nord) s’oppose à la houle (sud) ce qui dégonfle mes voiles et branle le bateau alors qu’à quelques mètres la zone verte est beaucoup plus calme ; le courant me maintient dans le cône chocolat et mon près serré me fait tangenter la délimitation, je m’en rapproche néanmoins progressivement, une fois franchie le bateau appuyé par le vent se cale sur son bouchain et c’est dans un sud évanescent que j’attends la bascule de vent au nord.

Elle viendra plus rapidement que prévue mais bien mollassonne, je sors le spi asymétrique, 70m² de toile rouge emmenée par le vent, c’est juste magnifique et jubilatoire, je lâche un « hiiiiiii » strident (Val comprendra ;-) ) mais le manque de vent gonfle et dégonfle la voile maltraitant le tissu et ses coutures à chaque « clac » de la toile qui se retend, de plus le vent est trop cul, c’est à dire trop par l’arrière du bateau pour que je puisse faire route directe car un spi asymétrique tolère au mieux 160° du vent, de plus un noeud de courant me contre, bref je me traine à deux noeuds sur le fond avec un spi en souffrance.

J’ai malgré tout souhaité exploiter cette journée, devançant le flux de nord qui ne s’établira que le soir, afin de gagner sur le trop court créneau météo ; en effet, je ne dispose que de 42 heures pour faire 200 milles soit une moyenne de 5,8 noeuds surface en tenant compte d’un courant contraire d’un noeud. Impossible à tenir vu la force du vent annoncée. De plus, en cas de dépassement, j’aurais à affronter un front froid et ses 40 noeuds minimum de vent de sud le mardi à midi et durant 6 heures de temps. C’est pourquoi je suis en route le dimanche matin au levée du jour synchrone avec le jusant.

Compte tenu de tout ces éléments je démarre le moteur à mi régime, ce qui présente un triple avantage, tout d’abord mon vent apparent se redresse légèrement vers l’avant grâce à la combinaison des vecteurs du vent moteur (de face) et du vent réel (arrière) ce qui me permet de faire travailler idéalement le spi sur ma route directe à 160° du vent, de plus il collecte plus de vent ce qui le stabilise ; le tout déclenche un cercle vertueux ou le bateau gagne deux noeuds pour faire ses quatre noeuds sur le fond sans que la consommation d’essence ne soit trop importante. Mon objectif pour cette journée sera de gagner au moins 20 milles, en plus du chenal, sur le créneau météo. Distance et temps se confondent dans l’appréciation du timing météo.

Après quelques heures le vent a suffisamment forci pour se passer du moteur. Eclairé par la pleine lune, c’est toute la nuit qui se passera sous spi car je dois avancer, le vent est pile sur ma trajectoire m’obligeant à tirer des bords de grand largue à 160° du vent ce qui rallonge un peu ma route mais favorise ma VMG et économise le spi. Je dors par tranche d’une heure, il n’y a pas de pécheur sur cette axe mais la côte est proche et le spi me rend vulnérable à une brusque montée du vent, l’alarme activée pour 15 noeuds de vent apparent me préviendra si nécessaire. Je suis un peu inquiet car je prends un léger retard sur ma progression estimée, je ne tiens pas les 4,7 noeuds escomptés, néanmoins la nuit prochaine le vent fraîchira et tout devrait rentrer dans l’ordre, Inch Allah !

Lundi, la journée se passe sous spi, RAS.

16h15, je guette le fraîchissement du vent et j’enroule le spi avant la nuit quand les pointes de vent à 15 noeuds apparents, annoncés par l’alarme, commencent à se faire trop fréquentes. Je gré le génois sous tangon en ciseaux de la GV puis je prends un ris dans la GV pour la nuit. La moyenne grimpe, les bruits de fluide dans la caisse de résonance du bateau aussi, le bateau surf régulièrement et le courant contraire semble faiblir, tant et si bien que l’ETA, c’est à dire l’estimation de l’heure d’arrivée calculée par le logiciel de nav oscille entre 3 et 4 heures du matin ce mardi à La Paloma ! Super, j’ai 8 heures d’avance sur le front froid ! Encore mieux, je vais probablement arriver en fin de flux de nord et m’éviter un atterrissage sous les grains potentiellement violents qui précèdent la venue du front. Le vent forci et j’enroule du génois.

Mardi 2h00, je suis en approche de La Paloma, le ciel et ses nuages, éclairés par la pleine lune, annoncent le changement de régime à venir et un orage claque au SO sur le continent puis déborde au large. A priori, je serais à l’abri avant que cela dégénère. Le vent a baissé et j’ai renvoyé toute la toile, génois toujours en ciseaux.

4h15, alors que je remonte le court chenal, les deux permanents de veille du port sont déjà sur le quai m’attendant pour m’aider à m’amarrer. Pas facile de gérer le moteur à l’arrière tout en allant saisir la bouée à l’avant, j’y parvins au second essais et m’y amarre à une distance me permettant de reculer vers le quai afin de lancer mes pointes arrières tribord et bâbord aux employés qui m’amarrent sommairement. Je grimpe lestement sur le quai qui me surplombe moyennant un grand écart, s’ensuit un échange cordial et une rapide visite de mon nouvel environnement.

Pas moyen de me reposer, les autorités défilent en me réclamant toute sorte de renseignements d’identification et me demandant de les contacter par radio, excédé je finis à 10h par prendre mon sac et partir faire mon entrée officiel en Uruguay. Dans l’ordre, la Dirección Nacional de Hidrografía qui gère le port, las Aduanas et enfin la Prefectura, il n’y a pas de service d’immigration ici, donc pas de tampon sur mon passeport mais je suis libre de mes mouvements sur le territoire Uruguayen ! Enfin voilà, je suis dans la place, connu des autorités, ma foi très obligeantes et sympathiques mais procédurières.

Pierre-Yves, le skipper (super sympa et ultra compétent) de Gwada, un bateau alu de 15 mètres fabriqué par ses soins pour une Route du Rhum et maintenant spécialement préparé pour du charter en Patagonie, m’accueille, puis, après avoir appris mes projets Patagoniens, fait une tête bizarre avant de me mettre en garde… Et oui le bateau est petit, terriblement vulnérable…

Le front froid sera au rendez-vous comme prévu par les fichiers GRIB, le vent souffle, il pleut des cordes, ça caille et l’intérieur du bateau condense du fait de l’humidité ambiante.

Demain mercredi, j’ai 41 ans et il y aura du soleil…

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