Bateau fantôme

A la croisée des Océans introduit cet article.

Plan A, plan B et... Plan C !

Plan A, plan B et… Plan C !

De fil en aiguille, ce qui à l’origine devait être une traversée incognito vers les Philippines d’une à deux semaines (le plan A), est devenue, du fait de notre changement d’objectif (le plan C), un séjour sans papiers d’un mois et demi en Indonésie.

Parano

Durant les deux semaines de notre séjour à Labuan Bajo sur l’île de Flores, nous prenons le temps de nous interroger sur notre futur – rentrer ou continuer, telle semble être la question. Pris dans le ballottement de considérations opposées, notre réflexion est quelque peu altérée par le jeu de cache-cache avec les officiels et la pandémie de coronavirus qui sévit toujours en Indonésie.

Les pirogues à balancier de Labuan Bajo

Les pirogues à balancier de Labuan Bajo

Labuan Bajo n’est pas un port d’entrée officiel et c’est pourquoi nous pouvons nous permettre d’y faire escale car, comme nous l’expliquions dans l’article précédent, nous sommes clandestins en Indonésie. C’est néanmoins un port commercial et les douanes sillonnent la zone en zodiac tous les jours sous notre nez. Nous rendre à terre, implique longer leurs deux vedettes amirales d’une vingtaine de mètres amarrées à couple dans un endroit réservé du port malencontreusement placé sur notre chemin. Deux européens dans un dinghy à la rame ça ne passent pas inaperçu et bien que l’on ne nous fera pas d’ennuis, nous nous sentons néanmoins en sursis.

Comme si ce n’était pas suffisant, j’attrape le Covid, des douleurs musculaires et de la fatigue pendant trois jours pour moi. Puis c’est le tour de Carina qui semble avoir eu une période d’incubation plus longue.

Un matin, alors que je suis bien affaibli par le virus, un bateau chargé d’officiels se dirige vers L’Envol. Nous avons à peine le temps de réviser notre légende qu’ils nous abordent : « Vous devez bouger, vous êtes dans le chenal » nous interpelle le maître de port sans plus de curiosité ni d’explications ! L’après-midi une procession religieuse dans le canal entre les îles mobilisera de nombreuses embarcations locales.

Un mille et demi de moteur

15 août 2022. Nous quittons finalement l’île de Flores pour continuer le long des Petites îles de la Sonde Orientales puis Occidentales, un archipel de terres étiolées s’étirant d’Est en Ouest au centre de l’Indonésie. Il nous faudra une petite semaine de canotage pour atteindre Gili Air, doublant sur le passage la longue île de Sumbawa puis l’île de Lombok.

Charter-phinisis en tournée sur l’île Kanawa (entre Flores et Komodo)

Charter-phinisis en tournée sur l’île Kanawa (entre Flores et Komodo)

Le volcan Rinjani, point culminant de Lombok (3726m)

Le volcan Rinjani, point culminant de Lombok (3726m)

Depuis que nous avons touché Flores, le 30 juillet, la navigation sous le vent des îles s’est beaucoup ralentie, mais grâce à nos grandes voiles rouges, aux élans qui les animent, à la mer plate et à beaucoup de patience, on a pu couvrir ces 300 milles nautiques à la voile malgré des vents espiègles : rarement plus de 5 nœuds de brise pour 3,4 nœuds de vitesse ! Une moyenne incluant nos moments d’attente à la dérive.

Nous n’avons fait sur cette distance qu’un mille et demi de moteur, essentiellement pour rejoindre le récif corallien de l’île Longgo, une minuscule protubérance de la grande Flores, alors qu’un soir, trop gourmand, le vent nous lâche et que la nuit ne tarde pas à nous envelopper.

Comme souvent, SASPlanet et ses inénarrables images satellites nous pointent la solution : un patch de sable providentiel avec une hauteur d’eau supposée être, par déduction comparée de sa couleur, similaire à notre précédent mouillage dans la baie d’Inca. Nous passons une nuit paisible mouillés dans 15 mètres entre le tombant et le vaste plateau récifale à fleur d’eau qui déborde l’île Longgo à son Nord-Ouest (GPS 8 19.5 S 120 6.92 E). Départ nocturne et matinal à 4:00 AM avec la brise de nuit de composante Sud qui s’est levée peu après notre installation.

Carte postale

L’Envol au mouillage de Gili Air, au fond l’île de Lombok

L’Envol au mouillage de Gili Air, au fond l’île de Lombok

21 août 2022. Nous jetons l’ancre au Sud de la petite île de Gili Air par 20 mètres de fond. Depuis que nous avons réduit le diamètre des maillons de notre chaîne de 8 à 6 mm et donc son poids, je peux remonter l’ancre à la main par 35 mètres de fond sans l’aide d’un winch, un avantage indéniable et stratégique en Indonésie !

Autre problème récurent, l’inconfort des mouillages, celui-ci n’est que partiellement protégé par un récif corallien et la houle en provenance du Sud, canalisée par le détroit entre les îles de Lombok et de Bali, s’y invite désagréablement à pleine mer.

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La jolie et touristique Gili Air

Gili Air est un ancien village hippie devenu une destination touristique qui tâche de coller à l’image que les européens ont du paradis. Le design et la déco sont parfois de très bon goût mais ce qui frappe c’est l’écart de richesse entre les touristes et les locaux. Tout était à l’arrêt pendant les trois années de Covid et certains ont travaillé dans les champs sur l’île de Lombok pour 2€/jour, la nourriture, le logement et le transport étaient « heureusement » pris en charge. Nous gagnions par comparaison environ 100€/jour chacun dans les champs de Tasmanie, un facteur 50 !

Taxi à Gili Air

Taxi à Gili Air

Il fait décidément trop chaud dans ce coin du monde, on passe notre temps à transpirer et la meilleure partie de la journée c’est en fait la nuit quand le soleil nous lâche enfin les baskets ! Notre énergie s’évapore et les escales sont difficiles à quitter malgré l’inconfort des mouillages trop profonds et mal protégés. Poursuivre vers le Japon dans un tel contexte nous démotive complètement d’autant plus que le jeu des saisons nous impose de temporiser plusieurs mois en Asie. Une adaptation qui nous paraît impossible à réaliser.

Notre fidèle ventilo, Spini, acheté par anticipation en Australie

Notre fidèle ventilo, Spini, acheté par anticipation en Australie

Refus d’obstacle, flashback

Pourtant, le 23 juillet, quand nous naviguions non loin de la ville d’Ambon, au Sud de la grande île de Seram, dans l’Est indonésien, nous n’étions plus très loin de l’Equateur et des Philippines – on a touché la latitude de 3°38’S. C’était le moment de prendre le cap irrévocable du Japon mais à ce stade la trace GPS du bateau fait un accent circonflexe, témoin de notre refus de l’obstacle.

Une trace en accent circonflexe

Une trace en accent circonflexe

Cliquer sur la carte pour ouvrir notre Google Maps sur l’Indonésie.

Notre clearance de sortie d’Australie, qui pointe ironiquement sur le port de Davao dans les Philippines, est maintenant belle et bien caduque. Cela signifie qu’au-delà du Japon, nous ne découvrirons pas l’Alaska, c’est bien dommage mais cette option nous faisait aussi repartir en arrière dans un grand tour du Pacifique.

Malaise au large d’Ambon, le cap du Japon est laissé dans le sillage

Malaise au large d’Ambon, le cap du Japon est laissé dans le sillage

Reste l’idée du projet originel : boucler la boucle de façon directe et élégante via l’océan Indien, l’île de la Réunion, l’Afrique du Sud. Sur ce chemin du retour, il se trouve que nous sommes synchros avec les saisons. C’est pourquoi, malgré les dangers délétères qui se terrent dans cet océan redouté, nous sommes dans nos têtes plus enclins à quitter l’Asie pour les affronter que de rester plus longtemps à traîner dans ce secteur surchauffé.

Cette prise de décision nous soulage malgré les challenges futurs et permet à L’Envol de retrouver enfin un cap clair.

De l’île de Seram, nous devions alors redescendre les latitudes jusqu’à l’île de Flores dans le Sud indonésien et longer les Petites îles de la Sonde jusqu’à l’île de Bali, un départ commode pour l’océan Indien. A trois jours de navigation, le port de Wanci dans les Sulawesi était un stop logique sur le trajet. Nous passions d’un cap Nord-Ouest à un cap Sud-Ouest, un virage à 90 degrés !

Wanci nous a beaucoup plu, elle n’avait pas vu de touristes depuis le début de la pandémie. La desserte aérienne ne montrait pas de signes de reprise, au grand dam de certains. L’accueil fut sincère, chaleureux et désintéressé, tout ce qu’il nous fallait après la trop commerciale Banda Neira. Le mouillage situé dans un lagon du récif est bien protégé et pour une fois pas trop profond. Enfin nous avions une belle expérience en Indonésie et nous le devions à notre changement de cap : un signe de bon augure qui nous a conforté dans notre décision !

Un départ précipité

Après une dizaine de jours de repos à Gili Air, nous poursuivons sur Bali en empruntant le selat entre les îles, un détroit sujet à d’importants courants de marées qu’il faut, tout comme la brise opposée à notre direction, tourner à notre avantage. Nous scindons l’étape en deux avec un stop sur l’île de Lembongan. Nous sommes à l’orée de l’océan Indien et nous aurions pu sinon dû faire notre avitaillement pour la traversée à partir d’ici grâce au ferry qui assure la liaison avec Bali – mais cette dernière nous attire comme des papillons par la lumière.

Sur l’île de Bali, Serangan est le seul mouillage protégé et probablement le port d’entrée/sortie le plus important du pays pour les voiliers. Contre toute logique de prudence, confiant dans notre bonne étoile, nous décidons de nous y rendre en traversant les dix milles du selat et le 2 septembre au soir nous y prenons une bouée.

Le lendemain matin de notre arrivée sur l’île de Bali, c’est-à-dire le 3 septembre, les Douanes nous abordent en bateau sur le lieu de mouillage à Serangan. Nous prétendons avoir fait la traversée Australie – Bali en direct et demandons si nous pouvons être dispensés de faire (et défaire) les formalités disséminées aux quatre coins de la ville, notre intention étant simplement de faire le plein d’eau et de nourriture avant un départ rapide pour l’Afrique du Sud.

Maxi avitaillement pour l’Indien

Maxi avitaillement pour l’Indien

Malgré notre insistance argumentée, et pas mal de tergiversations de leur part, ils nous demandent finalement de passer les voir pour faire les formalités en ville mais sans monter à bord ni contrôler nos passeports ou les papiers du bateau. Leur désinvolture nous laissant les coudées franches, nous en profitons pour faire un avitaillement massif express et le soir nous levons l’ancre précipitamment. D’une certaine façon nous n’avons fait que franchir une porte laissée grande ouverte !

On a eu chaud, on a aussi eu de la chance, on ne connaîtra rien de Bali mais on est content de quitter l’Indonésie et d’attaquer la traversée de l’Indien.

A suivre…

L’Indonésie en chiffres

De Cairns en Australie à l’île Bali en Indonésie
via Banda Neira (Moluques), Wanci (Sulawesi), Labuan Bajo (Flores), Gili Air (Lombok)
du 6/07 au 3/09/2022, 60 jours d’escales et de navigations
2’400 Mn dont 3,3 Mn au moteur
464 heures de navigation réparties sur 28 jours navigués dont 18 nuits en mer
soit 47% du temps passé en navigation et 53% à l’escale
6 îles, 13 mouillages
99,9% à la voile
vitesse moyenne : 5,17 Nds








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La trace GPS du bateau et nos waypoints d’escales en Indonésie sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.

Article prêt à publier le 16/09/2023. Ecrit et documenté depuis L’Envol, rio Paraiba, village de Jacaré, proche villes de Cabedelo et de Joao Pessoa, Brésil, GPS 7 2.2 S 34 51.46 W

Envie de nous donner un coup de main ? Visites la page de financement participatif de L’Envol : www.intothewind.fr/crowd-funding/

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