Trois îles, trois sommets

L’Envol dans les îles Mascareignes : Rodrigues, Maurice et la Réunion

L’Envol dans les îles Mascareignes : Rodrigues, Maurice et la Réunion

Le 26 septembre 2022, l’ancre est jetée dans Port Mathurin sur l’île Rodrigues. Nous sommes arrivés la veille mais l’entrée dans le port n’étant pas permise de nuit, nous avons attendu le lever du jour mouillé dans la Mathurin Bay. Nous sommes le seul voilier mais on a à peine fait les formalités que nous devons déjà ressortir pour nous remettre en attente à l’extérieur du port. Le cargo ravitailleur, Black Rhino, est en approche et il a besoin de tout l’espace pour manœuvrer dans l’étroit chenal taillé dans le platier de corail qui mène au port.

L’île Rodrigues, le mont Limon (390m)

C’est finalement avec 48 heures de décalage que nous pouvons enfin nous délecter d’une semaine de terre ferme après plus de 22 jours de navigation dans l’océan Indien.

Le village de Port Mathurin

Le village de Port Mathurin

A Rodrigues, tout le monde parle le français, la langue parlée au travail, le créole étant réservé à la maison et au quotidien et l’anglais aux démarches administratives. La colonisation française en 1735 et l’occupation britannique en 1809 ont laissé des traces : une bureaucratie anglo-saxonne absconse et, quand à l’héritage français, deux boulangeries avec des sablés appétissants et de la baguette à 12 centimes d’euro !

Nos retrouvailles avec la baguette

Nos retrouvailles avec la baguette

Sur l’écriteau, un français tropicalisé, « Mask obligatoire SVP »

Sur l’écriteau, un français tropicalisé, « Mask obligatoire SVP »

Le magasin du peuple en rouge coco

Le magasin du peuple en rouge coco

Un talweg humide et luxuriant

Un talweg humide et luxuriant

Une escale acidulée

Il semble que le voyage, trop souvent mis en tension par les administrations des pays traversés, a développé chez nous une forme d’allergie qui ne nous permet plus de fermer les yeux sur leurs abus de pouvoir répétés. Ainsi trois événements regrettables, impliquant des officiels, terniront cette escale par ailleurs sympathique en nous laissant un goût amer :

1. Le certificat de contrôle sanitaire a été payé, sans raison, en « overtime ». Nous enquêterons du Maire au Directeur du tourisme sur le fait que tous les voiliers de passage semblent être traités en « overtime », qu’ils arrivent dans les heures ouvrables ou non. Impossible d’obtenir une liste des tarifs de clearance. La seule réponse que l’on obtiendra c’est que cette terminologie est dans l’ordinateur et qu’ils vont la changer. Vérifiez que votre bordereau de contrôle sanitaire ne stipule pas « overtime » ou vous allez probablement payer un coût majoré.

2. Suite aux formalités d’entrée, il fallait libérer Port Mathurin pour Black Rhino tôt le lendemain matin. Plutôt que de manœuvrer aux aurores, on décide de lever l’ancre le soir même, au moment où la brise retombe et devient maniable sous voiles. Nous voilà donc au près dans le chenal étroit du port, la nuit vient de tomber, quand les garde-côtes déboulent en zodiac. S’ensuit une discussion ubuesque, au bord à bord, où je me fais sermonner sur le thème de la sécurité. Un comble, car à l’allure délicate du près serré, coincé entre eux, au vent, et le platier, quelques mètres sous le vent, ils m’empêchent de virer de bord si le vent refuse. Mon intention de mouvement n’a pas été annoncée en VHF et ça les chagrine au plus haut point. Ils nous laissent par dépit mais en faisant demi-tour accrochent la corde d’attache de notre annexe que nous tractions derrière nous. Bondissant comme un dauphin par-dessus leur boudin tribord, elle se libère de leur emprise sans dommages. Je retourne à la manœuvre, notre point de mouillage prévisionnel ayant été dépassé de 300 mètres, il ne me reste plus que 50 mètres pour réagir avant une protubérance du récif – impossible de l’ignorer, Carina à la navigation me le répétant en boucles de plus en plus aiguës !

3. Malgré le fait que l’île Rodrigues reste une dépendance de l’île Maurice, ou peut-être parce qu’une relative autonomie lui fut accordée en 2002, les formalités d’entrée et de sortie sont à réitérer dans chacune de ces îles. Rodrigues tient le record du nombre de formulaires signés, une trentaine en tout, car ici les voiliers de plaisance répondent à la même législation que les cargos et navires de commerce ! D’ailleurs, la plupart des papiers sont vierges ou barrés puisque nous n’avons aucune cargaison à signaler.

Une belle rencontre

François (à droite) et Bernard (à gauche) sur Zulu

François (à droite) et Bernard (à gauche) sur Zulu

Zulu, un JPK38 magnifiquement préparé par son capitaine, François Alicot, maître voilier et régatier, pour un TDM express en 16 mois. Quand nous nous rencontrons à l’île Rodrigues nous en sommes à 9 ans vs 11 mois de périple pour Zulu !

Le 5 octobre, après une semaine d’escale, tous les autographes accomplis et notre départ dûment signalé en VHF, nous sommes soulagés de quitter l’enceinte oppressante du Port Mathurin.

Il nous faudra deux jours et demi pour toucher l’île Maurice, 337 milles nautiques à l’Ouest. Une navigation tranquille et rapide à 5,75 nœuds de vitesse moyenne.

Trois confettis de terre dans l’océan Indien

Trois confettis de terre dans l’océan Indien

Cliquer sur la carte pour ouvrir notre Google Maps sur les îles Mascareignes dans l’océan Indien.

L’île Maurice, le Piton de la Petite Rivière Noire (828m)

Grâce à radio ponton, le bouche-à-oreilles des marins, nous savions qu’à Port Louis, l’unique port d’entrée/sortie de l’île Maurice, la prise d’un agent est imposée, un coût rédhibitoire de quelques 300 dollars US. En quittant Rodrigues, nous savions aussi que ni l’état de nos finances, ni notre déontologie ne pourraient se satisfaire d’une règle destinée à maquiller un dessous de table manifeste.

D’autre part, les deux baies incontournables de l’île Maurice se situent au Nord et au Sud de sa côte Ouest, tandis que Port Louis, un port commercial surchargé dénué d’attrait, est implanté entre les deux. Vouloir y faire les formalités signifie des allers-retours dédiés à la bureaucratie ou bien de faire l’impasse sur l’une et l’autre de ses destinations.

Port Louis, le port d’entrée/sortie de l’île Maurice – boycotté !

Port Louis, le port d’entrée/sortie de l’île Maurice – boycotté !

Tout cela nous semble tellement absurde que nous décidons de dérouler le fil du voyage en suivant le simple bon sens : aborder logiquement l’île Maurice pas son Nord en empruntant le chenal du Coin de Mire au large du Cap Malheureux, le contourner pour mouiller sur le début de la côte Ouest dans Grand Baie ; savourer la trentaine de milles sous le vent des alizés, sans houle et à l’allure rapide du travers, jusqu’à la baie de Grande Rivière Noire au Sud de l’île, un point de départ idéal pour poursuivre sur l’île de la Réunion.

Une erreur de taille

Dans le contournement de la pointe Nord de l’île Maurice au plus court par le chenal du Coin de Mire, il faut passer sur une zone de hauts-fonds inférieurs à quarante mètres. En période de grandes marées et d’alizés féroces, l’état de la mer peut devenir critique dans ce passage avec des courants de flot compris entre 2 et 5 nœuds directement dressés contre le vent. La carte indique « Raz de courant pendant le flot » et le symbole des overfalls est représenté.

Nous avons donc paramétré notre départ de Rodrigues, deux jours et demi plus tôt, en fonction de l’horaire du jusant donné par le logiciel de marées WXTide32 pour Port Louis. Le 7 octobre, L’Envol passait sur le symbole des overfalls à la pleine mer +1H30, c’est-à-dire en fin d’étale et début de jusant, avec 15 nœuds de vent d’Est à Sud-Est.

Pourtant, on pouvait sentir un contre-courant d’environ deux nœuds avec des mouvements de rappel désagréables et un renflement anormal de la houle dont la raideur inhabituelle permettait à certaines vagues de commencer à déferler. Je me tenais prêt à installer la porte en bois au cas où le cockpit fût submergé par l’une d’entre elles.

En comparant après-coup, les tables de marées de WXTide32 – à priori fiables, et les tables officielles, on a constaté avec effarement qu’elles étaient décalées de 6 heures et demi, c’est-à-dire en complète opposition de phase. Nous sommes donc candidement passés à la basse mer +2H, en plein flot !

Facteur aggravant, à trois jours de la pleine lune, l’amplitude de marée avait presque atteint son apogée. Avec le recul, la meilleure chose à faire aurait été de contourner ces hauts-fonds par le Nord en laissant sur bâbord l’îlot des Serpents et l’île Ronde, puis l’île Plate et le Coin de Mire, un détour d’une dizaine de milles nautiques.

Dans la descente sur Chamarel, le bastion isolé du Morne Brabant (556m)

Dans la descente sur Chamarel, le bastion isolé du Morne Brabant (556m)

L’histoire se répète

De retour à notre délicate condition de clandestin, nous n’en menons pas large, notamment quand le bateau des garde-côtes nous frôle à Grand Baie mais aussi quand nous les croisons en sens opposé dans notre navigation vers le Sud de l’île.

10 octobre. C’est finalement dans la baie de Grande Rivière Noire, le lendemain soir de notre arrivée, fraîchement rentrés de notre ascension du Piton, que des officiels viennent nous contrôler en zodiac. Deux jeunes garde-côtes en l’occurrence. Ils ne s’offusquent pas de notre légende basée sur des informations fraîches en provenance de nos amis du voilier Zulu avec lesquels nous échangeons par emails.

Ces derniers ont quitté Rodrigues peu après nous et touchent l’île Maurice quand nous y sommes encore : le 9 octobre, en approche de Port Louis, les autorités portuaires leur confirment l’obligation de prendre un agent à 8’000 roupies (160€) mais surtout leur refusent l’entrée dans le port avant 24 à 48 heures ! L’impossibilité de mouiller le long de la côte comme les cargos le pratiquent, du fait de la profondeur, les décident à poursuivre sur la Réunion à contrecœur.

Nous reprenons cette histoire à notre compte : refoulés à Port Louis, nous attendons ici la météo propice pour continuer sur la Réunion, nous sommes sur un petit bateau, etc. Nos garde-côtes reviennent un peu plus tard avec un formulaire. Sans même se donner la peine de monter à bord, ils prennent les renseignements habituels sur le bateau et ses occupants et nous demandent de faire un appel VHF sur le 16 au moment du départ !

Les choses en resteront là et nous lèverons l’ancre le lendemain matin sans plus d’ennuis.

Le 10 octobre, Zulu atterrit à la Réunion et nous avons le dénouement de cette histoire kafkaïenne :

Notre aventure Mauricienne fait grand bruit… Un journaliste réunionnais vient de passer à bord pour un contact à Maurice qui organise une vidéo conférence avec le capitaine du port et le ministre concerné ! Ils en ont marre de la corruption.

François, voilier Zulu

L’île de la Réunion, le Piton des Neiges (3071m)

Le 12 octobre, 128 milles nautiques et 28 heures de navigation plus tard, c’est à notre tour d’atterrir à la Réunion.

Carina dans sa bannette favorite bâbord amure

Carina dans sa bannette favorite bâbord amure

En approche du port de la Pointe des Galets sur l’île de la Réunion

En approche du port de la Pointe des Galets sur l’île de la Réunion

Dans la darse Titan, L’Envol avec ses coreligionnaires de 25 pieds

Dans la darse Titan, L’Envol avec ses coreligionnaires de 25 pieds

Quelques jours plus tard, le voilier Julo fait son entrée dans la darse Titan. Nous sommes tous curieux et impatients de savoir comment ça s’est passé pour eux car ils sont les premiers à avoir « testé » Port Louis suite à l’imbroglio administratif. Eh bien, c’est positif puisqu’ils ont pu faire leurs formalités sans payer de pseudo-agent, haut les cœurs !

Logistique Zulu

Grâce à François et Bernard qui nous invitent à profiter de leur voiture de location, les équipages de L’Envol et de Zulu vont découvrir ensemble, au détour de routes escarpées et de sentiers caillouteux, l’île montagneuse de la Réunion. C’est parti !

En arrière plan, le Piton de la Fournaise (2512m) dans le Sud-Est de l’île

En arrière plan, le Piton de la Fournaise (2512m) dans le Sud-Est de l’île

Entre le Piton et nous, les falaises abruptes qui donnent sur le cratère

Entre le Piton et nous, les falaises abruptes qui donnent sur le cratère

Notre prochaine randonnée, La Roche Verre Bouteille (1306m), sur les hauteurs du port, au Nord-Ouest de l’île, sera l’occasion d’un aperçu unique sur le cirque de Mafate, un des trois grands cirques de la Réunion.

La rivière des Galets qui ouvre sur le cirque de Mafate

La rivière des Galets qui ouvre sur le cirque de Mafate

Au fond, au centre de l’image, le Piton des Neiges (3071m) avec, à droite, le Grand Bénare (2898m)

Au fond, au centre de l’image, le Piton des Neiges (3071m) avec, à droite, le Grand Bénare (2898m)

De l’autre côté de la vallée, une ligne horizontale à peine marquée dans la falaise : le sentier d’accès au cirque !

De l’autre côté de la vallée, une ligne horizontale à peine marquée dans la falaise : le sentier d’accès au cirque !

Pour notre troisième rando, les objectifs divergent mais nous faisons la route ensemble jusqu’au village de Cilaos dans le cirque du même nom. De là, François et Bernard partent sur une balade en local à la journée, tandis que nous nous lançons dans l’ascension du point culminant de l’île, le Piton des Neiges, les 18 et 19 octobre 2022.

Jour 1
Port de la Pointe des Galets – Village et cirque de Cilaos – Le Bloc – Refuge de la Caverne Dufour – Piton des Neiges (3071m)
93Km en auto, 8Km à pied (en 8 heures)

Le Tangue, l’hérisson réunionnais

Le Tangue, l’hérisson réunionnais

De l’antécime Nord (3052m), mer de nuages autour du Gros Morne (3019m)

De l’antécime Nord (3052m), mer de nuages autour du Gros Morne (3019m)

Du Piton des Neiges (3071m), soleil couchant sur le Grand Bénare (2898m)

Du Piton des Neiges (3071m), soleil couchant sur le Grand Bénare (2898m)

Ouverture d’un nouveau bivouac isolé !

Jour 2
Piton des Neiges – Refuge de la Caverne Dufour – Bélouve – Hell-Bourg et cirque de Salazie – Port de la Pointe des Galets
18Km à pied (en 10 heures), 72Km en stop et bus (3 voitures, 1 bus)

Les prémisses du lever du jour

Les prémisses du lever du jour

Lever du soleil sur l’océan Indien

Lever du soleil sur l’océan Indien

Photo souvenir avec la pancarte à demeure

Photo souvenir avec la pancarte à demeure

Une réminiscence du Monde perdu de Conan Doyle

Une réminiscence du Monde perdu de Conan Doyle

Du refuge de Bélouve, une descente à flanc de falaise permet de prendre pied dans le cirque de Salazie. Avec la fin de cette traversée et l’ascension du Piton des Neiges, notre trilogie sur les toits des îles Mascareignes s’achève. La saison des cyclones 2022-23 dans le Sud-Ouest de l’océan Indien débutant mi-novembre, il est temps de se préparer à affronter les 1’500 milles nautiques du passage clé d’un tour du monde à la voile : les courants et la météo incertaine dans le Sud de Madagascar et l’arrivée en Afrique du Sud dans le non moins critique courant des Aiguilles !

A suivre…








engaged like button

————–

La trace GPS du bateau et nos waypoints d’escales dans l’océan Indien ainsi que les traces GPS de nos treks sur l’île Maurice et sur l’île de la Réunion sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.

Article prêt à publier le 19/11/2023. Ecrit et documenté depuis L’Envol, rio Paraiba, village de Jacaré, proche villes de Cabedelo et de Joao Pessoa, Brésil, GPS 7 2.2 S 34 51.46 W

Envie de nous donner un coup de main ? Visites la page de financement participatif de L’Envol : www.intothewind.fr/crowd-funding/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>