Alunissage

De Puerto Natales à Puerto Montt, navigation dans les canaux de Patagonie, suite.

22 juillet. Déjà 14 jours que la caleta Luna est notre jardin, les fronts froids se sont succédés sans répit ne nous donnant que peu d’opportunité de continuer. De plus, toute la zone, qui s’étend du canal Wide, 8 milles à notre Nord, et jusqu’au début du canal Messier, 15 milles au Nord de Puerto Eden, fut sujette à des températures exceptionnellement basses pendant une dizaine de jours, -5°C en moyenne, des journées à -10°C et un record à -14°C (données zyGrib) ! Durant cet épisode perturbé, un vent de NE a dévalé la Cordillère Andine ramenant dans les canaux patagoniens l’air glacial du Campo de Hielo Sur où trône, entre autres, le Monte Fitz Roy (3405m). La caleta Luna, situé à la limite SO de cette zone, est soumise à un régime de NO fort qui permet de contenir les apports d’air froid plus à notre Est.

Nous avons donc bénéficié d’une température (relativement) clémente, similaire à notre séjour à la caleta Dardé. Grâce au couvert d’arbres qui ceinture la caleta (excepté au SE), les vents entre 6 et 7 Beaufort, générés par une demi-douzaine de fronts froids, n’ont fait que nous survoler dans un contraste saisissant : au faîte de la puissance, quand le vent violente durement la forêt, un bourdonnement sourd emplit l’espace, tandis que dans la placide clairière Luna, la nature comme pétrifiée demeure silencieuse. Quelques rafales peuvent nous parvenir épisodiquement, mais l’amarrage transformé en 4 cordes est à toute épreuve. Il a neigé à 2 reprises, mais surtout, pour la première fois, nous avons expérimenté une pluviométrie entre 5 et 6 mm/h durant 9 heures – qui s’apparente finalement à une perturbation « bien de chez nous » où il peut pleuvoir 24h sans discontinuer – puis le temps breton revient, avec ses répits fréquents dans la continuité humide, parfois même avec un peu de ciel bleu et de soleil bas sur l’horizon. Pour peu que l’on soit synchrone, ce temps maniable permet de vaquer aux taches du quotidien qui nous appellent à l’extérieur du bateau, tout en restant sec.

A ce rythme, l’annexe ne désemplit pas, cet apport d’eau douce nous permet de nous laver sur le pont puis de nous sécher dans un carré agréablement réchauffé par le générateur qui complète les batteries. Ici, le faible rendement de conversion du moteur à explosion est une félicité : nul n’est besoin de chauffage électrique d’appoint qui demanderait une production de 220V supérieure au générateur, majorant la consommation d’essence et le bruit aussi. Je me félicite de ce choix à moindre coût qui offre une grande fiabilité et polyvalence d’usage. Le tuyau d’échappement des gaz, installé à Buenos Aires, remplit son office, et le générateur, contrairement au poêle à fioul, fonctionne parfaitement en navigation, vent et gîte compris. Devant tant d’avantages, le bruit devient un désagrément mineur. La ventilation de l’habitacle est assurée par le panneau ouvrant de la plage avant et le hublot de la porte de la descente, encastré à Buenos Aires. Grâce à un pare-pluie confectionné par Eric (merci Ricou !), le panneau ouvrant reste ouvert en permanence, jour et nuit. La condensation à l’intérieur s’en voit beaucoup diminuée, ainsi que la sensation d’enfermement. L’eau courante est à 50m en annexe au fond de la caleta, petit bémol, pour l’exploiter il faut être un peu à distance de la marée haute.

Bref, peut être saisissez-vous le bonheur indicible qu’il y a d’être ici, avec pour seule préoccupation de vivre avec les éléments afin de leur survivre, stress constructif qui a du sens pour les animaux « évolués » que nous sommes. Durant ces 2 semaines, nous avons baigné dans une paix et une sérénité comme je n’aurais pas imaginé qu’il fut possible sous ces latitudes, elles nous auront soudé l’un à l’autre dans une tendre complicité. Les journées se passent, pour moi, en saisie de waypoints sur les zones de navigation futures, toujours plus Nord, et pour Carina et son professeur Harrap’s, en école de langue française. Ces leçons d’apprentissage, malgré ou grâce à ses faibles moyens linguistiques, sont d’une profondeur savoureuse, emprunts de pensées poétiques. Mais selon elle, ces leçons sont sans prétention, elles sont surtout un jeu fait de mots, un moyen d’apprendre une langue. A vous de voir.

Premier leçon : « Je, tu, il… »

Nous sommes petits, le monde est grand. Tu es capitaine. Je suis amoureuse. Je veux te suivre. Je suis heureuse, j’aime voyager. Tu as un bateau, L’Envol. Il est petit mais douillet. Maintenant L’Envol est notre maison sur l’eau. Avec lui nous pouvons voyager librement et voir le grand monde.

Deuxième leçon : « …nous et ils »

Nous sommes des hommes de la terre, ils sont les oiseaux du ciel. Nous cherchons le pouvoir et les richesses, ils tutoient l’horizon. Nous cherchons comment traverser les frontières que nous avons nous-mêmes créées. Ils suivent leur nature et volent sans frontière au-delà de l’horizon.
L’Envol est un voilier. Son nom est son chemin.

Troisième leçon : « La négation »

L’âme ne pense rien, seulement ressent.
Elle ne doute pas, toujours sait.

Quatrième leçon : « Masculin, féminin et pluriel »

Recette : Caleta Luna
Laver la mer avec la pluie, ajouter le vent fort.
Cacher les montagnes par le brouillard
et le soleil derrière les nuages.
Peindre le jour en gris.
Servir froid, accompagné d’un roman de Camus ou d’un film d’Almodovar.

Cinquième leçon : « Les questions »

Est-ce le poète qui cherche les paroles, ou est-ce les paroles qui cherchent le poète ? Et qui est, et d’où vient l’inspiration ? Pourquoi ne signe-t-elle jamais ses poèmes ?
Est-ce le vent qui suit le voilier, ou est-ce le voilier qui suit le vent ? Et qu’est-ce qui crée le mouvement ?
Est-ce le capitaine qui détient le pouvoir de naviguer sur la mer, ou est-ce la mer qui a la volonté d’emmener le voilier ?
Est-ce nous qui choisissons le chemin, ou est-ce le chemin qui nous choisit ? Et qui choisit le moment de L’Envol ?

Sixième leçon : « La comparaison »

Le chemin comme l’eau,
le désir comme la soif,
y boire c’est voyager.

Tes parents comme l’arc,
toi comme la flèche,
pars au loin.

La force est ton rêve,
le mouvement commence avec lui longtemps avant le départ.

Abandonnes tout pour mourir,
recommences à zéro pour renaître.

Le monde comme une tapisserie,
ton chemin comme le fil,
le voyage ne se termine jamais.

PS1 : Merci Dom pour ton message, je suis heureux que tu t’éclates avec ton Nomade autour de l’Irlande, profites bien et peut être nous croiserons nous un jour en mer, salut l’ami !

PS2 : Coucou Gwendal, impressionnant ta rencontre « magmatique » lors de ta remontée sur la Guyane avec La Boiteuse, la mer n’a pas finie de nous surprendre, la bise à toi et à Touline.

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La trace GPS du bateau et nos waypoints d’escales en Patagonie sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.

Envoyé le 25/07/2015 de Puerto Eden, GPS 49 7.56 S 74 24.86 W

Envie de nous donner un coup de main ? Visites la page de financement participatif de L’Envol : www.intothewind.fr/crowd-funding/ ou cliques sur le bouton « Faire un don ».








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