Fenêtre à saisir

Stats Australie :

Position : Geraldton
Arrivée : 2/11/2019
Distance parcourue : 4’546 Mn
Temps passé : 140 jours
Moteur : 83 Mn
Mouillages : 85
Visa restant : 226 jours

Les horaires sont en heure locale du Western Australia (UTC+8), formatés sur 24 heures

Préambule

Monkey Mia s’avère l’endroit idéal pour une pause prolongée. Le plan d’eau calme, le fond de bonne tenue, le peu à ramer pour débarquer, l’annexe en sécurité permettent de délayer le stress accumulé. En matière de logistique c’est un peu moins évident, l’eau douce bien que potable a un goût affreux de désalinisation, le wifi est payant après 24 heures et il n’y a pas de supermarché à part quelques rayons de dépannage aux prix fantaisistes perdus au milieu du merchandising de souvenirs. Par contre le luxe inouï des infrastructures dédiées aux campeurs, camping-cars, caravanes et autres maisons roulantes nous sidère, piscines d’eau douce, douches chaudes, machines à laver bon marché (4$), salles hors-sac cinq étoiles mettant à disposition frigos, fours, BBQ, toaster, ustensiles de cuisine…

Humains et pélicans en rang d’oignons pour le nourrissage des dauphins

Humains et pélicans en rang d’oignons pour le nourrissage des dauphins

Monkey Mia

On réalisera plus tard que tout cela est bien payant pour qui vient par la route, les (rares) voiliers de passage passant pour l’instant entre les mailles du filet. Par la route aussi Monkey Mia est un lieu isolé, la longue péninsule Peron est largement excentrée des axes routiers du continent. Le village de Denham (600 habitants) à quelques 26 kilomètres est le plus proche (et unique) village de la Shark Bay. Implanté de l’autre côté, sur la côte Ouest de la péninsule Peron, nous nous y rendons en stop pour faire un petit avitaillement en produits frais, le gros de l’approvisionnement ayant été fait à Carnarvon. On profite du wifi de l’office du tourisme pour étendre le champ de nos images satellites. Un visuel sur le bord de mer de Denham nous confirme que son mouillage exposé n’est pas tenable en dehors d’une météo choisie.

Après notre escale à Cairns c’est seulement ici, à Monkey Mia que nous achetons pour la seconde fois du carburant en Australie. Nous embarquons 30 litres d’essence en complément de la nourrice (25 litres). C’est tout l’avantage d’un bateau léger qui reste manœuvrant sous voiles dans les petites conditions, une situation météo fréquente.

Pêche du withing

Pêche du withing

Dance avec le poisson

Le bulletin de prévision nous tire de notre douce léthargie. Fini la balade sur la grève pour trouver des appâts, fini la pêche miraculeuse aux whiting, il n’y aura pas de second tour car plus tôt que souhaité, il faut se remettre en route. Une fenêtre de vents de Nord nous promet, si elle se confirme, une trace directe au portant. De plus la houle est faible, 2 mètres évoluant à 1,6 mètre. Une situation inhabituelle comme le guide nautique le rappelle :

Winds along this part of the coast [Carnarvon to Geraldton] are generally strong and from the southern sector all year round

Fremantle Sailing Club, Western Australian Cruising Guide

En hiver, les dépressions qui balayent le grand Sud génèrent des houles de 5 mètres et l’été la brise de SW peut atteindre 30 nœuds sans mollir la nuit. Nous sommes dans l’entre-deux des saisons, alors nous devrions nous réjouir de cette anomalie météo.

Plusieurs bémols néanmoins, le créneau débute par 15 heures de louvoyage ou de près serré dans du SSW, adonnant dans la pétole pendant une dizaine d’heures, reprenant WNW au portant pour 10 à 12 heures, d’abord maniable pendant 6 heures puis forcissant, fin du créneau avec le passage d’un front froid, 6 Beaufort de SW. Nous disposons donc de 36 heures pour faire la jonction entre la sortie de la Shark Bay à Steep Point et Pigeon Island dans l’archipel des Houtman Abrolhos – des îles basses ceinturées de formations coralliennes au large de la côte – tristement célèbre pour ses naufrages du temps jadis. Dans ce délai, nous avons à couvrir 140 milles sans abri le long des falaises de Zuytdorp. La houle faible nous arrange bien car ces dernières sont connues pour la réfléchir – générant un train de vagues opposé – ces parages, avec la mer du vent en surimpression, peuvent devenir particulièrement inconfortables.

Jouable ou pas ?

On imagine faire 60 milles à 4 nœuds de vitesse moyenne dans le premier round au près serré, puis 30 milles à 3 nœuds dans la pétole avec l’aide du moteur si nécessaire, enfin 50 milles au portant à 5 nœuds ou plus. C’est donc une fenêtre envisageable mais courte et porteuse de pas mal d’incertitudes.

D’autre part, la houle est connue pour briser sur les hauts-fonds à Steep Point et suivant l’état de la mer la sortie de la Shark Bay peut être compromise, enfin l’atterrissage de nuit à Pigeon Island n’est pas recommandable.

Quand nous décidons de saisir notre chance nous sommes le dimanche 27 octobre. La fenêtre débute le mardi 29/10 à 11:00 du matin. Entre elle et nous la Shark Bay s’interpose. Depuis Monkey Mia il nous faut préalablement rejoindre Shelter Bay, un mouillage d’attente où les voiliers patientent avant d’envisager la sortie de la Shark Bay via Steep Point. Demain lundi, on a donc un programme chargé avec 20 milles de portant pour contourner la péninsule Peron (cap au Nord) puis 47 milles de louvoyage cap au Sud, arriverons-nous à temps ?

Notre première échéance est celle du renforcement du vent de Sud le lundi à 20:00, on devra faire avec car nous serons encore loin du but à ce moment. Notre seconde échéance est le coup de vent (toujours Sud) du mardi à 5:00 du matin, on espère avoir jeté l’ancre avant. Lot de consolation, plus nous progresserons Sud, plus le fetch diminuera en conséquence jusqu’à devenir nul à Shelter Bay.

Dans le vif

Jour 1

> Lundi 28 octobre 2019
> 21 heures 20 de navigation
> 99 Mn dont 67 Mn sur la route directe
> 4,6 Nds de vitesse moyenne
> 1,7 Mn au moteur

Levés à 4:00 du matin, le vent est aux abonnés absents, nous repoussons le départ jusqu’à 6:00. Encore une fois les meilleures choses ont une fin, après 5 jours de félicité, nous voilà encore en mouvement à la recherche d’une autre terre promise.

Cape Peron North

Cape Peron North

On se délecte les premières heures de ce portant facile sans houle qui nous rappelle nos navigations sous couvert du Great Barrer Reef. Le contournement Nord de la péninsule Peron par le cap du même nom voit le retour du près. Un près pénible dans une mer formée dû aux faibles profondeurs brassées de courants contradictoires. Nous traversons ensuite la Shark Bay dans un long bord de près serré s’incurvant peu à peu au SW. Ce faisant nous allons chercher la protection de Dirk Hartog Island. Après elle à l’Ouest, l’Océan Indien nous attend. Avant ces retrouvailles redoutées, un long prolégomènes s’impose, plus de 30 milles de louvoyage sur son flanc Est vont nous permettre de la contourner à Steep Point.

Sous trinquette et 2 ris dans la GV, nous sommes légèrement surtoilés dans les rafales et je dois jouer en permanence de l’écoute de GV pour lisser les efforts. Je fais le job depuis le pied de la descente, au sec et à l’abri du vent, tournant le dos à l’étrave qui trouve sa voie toute seule dans les difficultés du jour puis les évidences de la nuit.

Contre toute attente le vent mollit, on affale la trinquette qui reste à poste au cas où et on déroule le génois. Pas évident de virer de bord avec l’étai largable si proche de l’étai, on enroule et on déroule le génois à la volée durant le virement tâchant de ne pas arrêter le bateau dans la manœuvre.

Au début du chenal étroit qui mène au mouillage, le moteur est brièvement mis à contribution le temps de ramener la trinquette au pied de mât, on ne peut pas se permettre un manque à virer dans ce passage délicat. Le louvoyage final dans une nuit dense exacerbée par l’absence de lune, sans fetch, avec le courant à faveur, dans des vents affables, est jouissif comme rarement. Nous avons fait la jonction entre Monkey Mia et notre fenêtre, dans ce voyage temporel espace et temps racontent une histoire commune.

Le 29 octobre à 3:30 du matin nous jetons l’ancre dans la Shelter Bay concluant plus de vingt heures de navigation intense. Nous ne sommes pas seuls, d’autres feux de mouillage brillent dans le ciel étoilé.

J1-2 Départ de Monkey Mia, Shark Bay, Steep Point

J1-2 Départ de Monkey Mia, Shark Bay, Steep Point

Jour 2

> Mardi 29 octobre 2019
> 24h de navigation
> 111 Mn dont 102 Mn sur la route directe
> 4,6 Nds de vitesse moyenne
> 26 Mn appuyés au moteur

5:00 du matin, la bulle de vent éclate avec violence sur le mouillage au moment prévu, je paye mon manque d’anticipation en devant rallonger la chaîne dans l’urgence. Après une courte nuit de 5 heures, nous sommes debout dans les préparatifs. Mitch, solitaire sur son voilier Leaf, vient s’entretenir avec nous, il préfère attendre un créneau plus long. Il navigue de conserve avec ses amis sur un catamaran d’aspect peu marin. Les deux voiliers sont sur leur trajet retour d’un Albany – Montebello !

Steep Point et falaises de Zuytdorp

Steep Point et falaises de Zuytdorp

Départ à 11:00 du matin anticipant la fin des vents forts et leurs rotations au SSW. Sortie de la Shark Bay par Steep Point, le point le plus Ouest d’Australie. La houle brise aux endroits convenus, la voie du grand large est donc ouverte. Un bord de 7 milles au SW dans l’Océan Indien bâbord amure permet de prendre la mesure des conditions et de s’éloigner des imposantes falaises qui bordent la côte.

Après quoi nous effectuons notre premier et unique virement. Cap au SE tribord amure. Près serré adonnant puis tournant sur l’arrière du travers, enfin de la route directe ! Houle de SW faible. Le vent mollissant en seconde partie de nuit nous impose d’appuyer les voiles au moteur durant 5 heures afin de renforcer notre vent apparent et tenir le timing serré de cette courte fenêtre météo. Nous dormons abondamment. Le vent reprend de la vigueur après le lever du jour. La mer est assez ordonnée, relativement peu affectée par le rebond de la houle sur les falaises de Zuytdorp (100 milles de long).

Jour 3

> Mercredi 30 octobre 2019
> 7 heures de navigation
> 45 Mn sur la route directe
> 6,4 Nds de vitesse moyenne
> 0,8 Mn au moteur

Cap au SSE au largue tribord amure dans un vent fraichissant. On laisse les falaises de Zuytdorp dans le sillage et avec elles la sensation désagréable d’être poussés en avant par un train de vagues puis tirés en arrière par un autre. On double North Island (Houtman Abrolhos Islands) 6 milles à notre Est. La prévision a tourné à notre avantage, nous rencontrons des vents plus abattus et plus soutenus que prévu. En conséquence, nous arrivons avant la nuit pour négocier le chenal étroit encombré de corail et de bouées qui mène au mouillage SW de Pigeon Island. Le ciel chargé, le vent tempétueux, les installations de pêche et les maisons désertées (nous sommes hors-saison), donnent à ces lieux fantomatiques un cachet spécial de fin du monde.

En approche du mouillage de Pigeon Island

En approche du mouillage de Pigeon Island

18:00, nous prenons une solide bouée jaune sous les assauts du vent. Peu après notre installation la situation se dégrade rapidement, le vent se renforce avec les premières rafales à 27 nœuds, une pluie fine et la nuit nous tombent dessus conjointement, c’est le début du « Strong Wind Warning ».

Nous avons parcouru 156 milles – abandonnant seulement 9 milles à la route directe – en 31 heures au lieu des 36 heures que nous pensions à notre disposition, une chance car nous avons atterri de jour avant la dégradation. Le chenal de Pigeon Island sinueux et truffé d’obstacles à la fois sur et sous la flottaison aurait été critique dans ces conditions. En effet, une pluie cinglante nocturne requiert une vitesse réduite pour avoir le temps d’identifier les obstacles alors que le fardage du bateau dans le vent fort nécessite de la vitesse pour rester manœuvrant, le genre de dilemme qui mène à la catastrophe.

Faisant le bilan de cette navigation, je constate à la nourrice presque pleine que l’appui moteur nous a coûté autour de 5 litres d’essence pour 26 milles parcourus en un peu plus de 5 heures, soit une consommation d’un litre par heure à la vitesse moyenne de 5 nœuds, un rendement excellent pour notre 2 temps Tohatsu de 9,8 CV. On a bénéficié d’un cercle vertueux : du fait de l’appui moteur le vent nous provenait du travers au lieu du largue, renforçant notre vent apparent ; le vent météo nous donnait les trois quarts de la propulsion mais il manquait au bateau le nœud pour passer les vagues sans s’arrêter et stabiliser le gréement. Au final, le confort et l’efficacité sous voiles s’en sont trouvés considérablement améliorés. Une expérience intéressante même si je préfère me passer du moteur, c’est plus gratifiant.

Cette portion de côte étant dénuée de couverture mobile, on a préalablement prolongé d’un mois la validité de notre prepaid Iridium contractée pour le Kimberley. Cela ne nous donne pas plus d’unités mais prolonge la validité du solde restant pour un coût raisonnable. Justement, le dernier bulletin météo nous confirme qu’avec le passage du front froid la houle va grossir à 5 mètres. Nous sommes bloqués ici pour 2 jours complets avant que la mer se calme et nous ouvre la voie pour Geraldton, une ville du continent distante d’une cinquantaine de milles de l’archipel des Houtman Abrolhos.

J3-6 Houtman Abrolhos Islands, Geraldton

J3-6 Houtman Abrolhos Islands, Geraldton

Jour 4-5

> Jeudi 31 octobre et vendredi 1er novembre 2019
> 48 heures au mouillage

Rien à signaler, on coucoune bien au chaud tandis que L’Envol évite autour de sa bouée.

Jour 6

> Samedi 2 novembre 2019
> 10 heures 15 de navigation
> 52 Mn sur la route directe
> 5,1 Nds de vitesse moyenne
> 0,1 Mn au moteur

Départ à 6:00 du matin. Ce jour, samedi, est la seule journée dont nous disposons pour rallier Geraldton dans de bonnes conditions, après que le gros de la houle et du vent des jours précédents se soient évacués et avant que les vents de SW basculent au SE (c’est-à-dire sur notre route) dès la nuit prochaine.

La navigation se résume par un long bord de près tribord amure. Alors que nous doublons le dernier platier de corail à notre vent, la houle encore très sensible nous cueille sans ménagement. Jusqu’au dernier moment nous ne serons pas certains de passer sur un seul bord.

Quand nous nous présentons entre les balises vertes et rouges du chenal de Geraldton on sait que c’est gagné. 16:15, nous mouillons, en compagnie de deux autres voiliers, à Town Beach sur le front de mer, devant la ville de Geraldton.

A suivre…








engaged like button

————–

La trace GPS du bateau, nos traces GPS à terre (en trek, en stop…) et nos waypoints d’escales en Australie sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.

Publié le 29/01/2020 depuis le mouillage de Risby Cove, village de Strahan, Macquarie Harbour, île de Tasmanie, Tasmania, Australie, GPS 42 9.26 S 145 19.91 E

Envie de nous donner un coup de main ? Visites la page de financement participatif de L’Envol : www.intothewind.fr/crowd-funding/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>