A la croisée des Océans

_Carte_01_Indonésie

C’est fou mais 7 mois ce sont écoulés depuis la publication à Knysna en Afrique du Sud de notre dernier article, Extraction d’Australie, une histoire qui à ce moment du récit était déjà doublement périmée, à la fois géographiquement et temporellement, puisqu’elle trouvait sa conclusion 7 mois auparavant dans la ville de Cairns au début du mois de juillet 2022 ! C’est donc avec 14 mois de décalage cumulé que nous reprenons la narration. Une chronologie décidément bien alambiquée, puisque le fil du voyage se situe maintenant en Indonésie et sera raconté depuis le Brésil, à Jacaré sur le rio Paraiba où nous avons atterri le 28 mars 2023.

ADN

Parmi toutes les raisons qui m’ont motivé à partir naviguer autour du monde sur un voilier, il y en a une que je dois exclusivement à mon père : je veux parler de cette force qui pousse les fils à sublimer les rêves inachevés de leur père.

En 1973, l’année de ma naissance, débute l’histoire de la mise en production du Romanée, un plan Harlé de 10,2 mètres en aluminium fabriqué en forme. Ce voilier initialement dédié à la course au large deviendra avec plusieurs centaines d’unités construites en dix ans un classique de la grande croisière. Mon père, sculpteur-ébéniste passionné, en fera une réplique en bois au 1/10e. A cette époque, les magazines de voiles et de voiliers remplissaient les étagères de notre appartement.

L’année de mes 12 ans, toute la famille Mora prend la mer, du moins mes parents et les trois premiers du nom, la dernière petite sœur étant trop jeune et le dernier petit frère pas encore né. Nous canoterons la côte du Péloponnèse en itinérance, bivouaquant sous tente de plage en plage. Le bateau, un Zodiac propulsé par un hors-bord de 40 CV se révélera un véritable tape-cul et les débarquements/départs dans les rouleaux bien casse-gueule ! J’ai un souvenir ému de cette vie simple d’explorateur en goguette, quand la tranquillité recherchée nous amenait à poser le camp le soir sur une plage qui se révélait être naturiste au matin !

Mon départ en 2013, malgré ou grâce à l’éloignement, nous aura rapproché mon père et moi. Dans le courrier ci-après qui lui est adressé, je vous fais endosser, mes chers lecteurs, le rôle du père, du confident sur qui on peut s’épancher sans trop de pudeur.

Grosse fatigue

Labuan Bajo, Indonésie, le 5 août 2022

Bonjour Pa’,

Nous avons finalement quitté l’Australie et atterri en Indonésie, le contraste est majeur, je n’aurais jamais cru ressentir une certaine nostalgie pour nos trois années passées là-bas – en terrain éminemment capitaliste – mais on a été avec le recul très bien accueilli et c’est si facile de vivre des miettes de la société de consommation quand on est un peu débrouillard, et ça nous avons appris à le devenir depuis le temps.

J4, 9/07 – Albany Passage avec au fond le Cape York

J4, 9/07 – Albany Passage avec au fond le Cape York

Banda Neira, l’île aux épices des Moluques (Est Indonésie)

Banda Neira, l’île aux épices des Moluques (Est Indonésie)

Le bras de mer exposé entre les îles de Banda Neira

Le bras de mer exposé entre les îles de Banda Neira

Noix de muscade en cours de séchage

Noix de muscade en cours de séchage

Nous sommes maintenant sur l’île de Flores à Labuan Bajo, un port qui connait un certain essor du fait du tourisme généré par le parc de Komodo tout proche. Les droits d’entrée y sont devenus si exorbitants au regard du coût de la vie locale que les capitaines des phinisis, ces bateaux-charter en bois sur deux étages, font actuellement grève pour ramener le gouvernement à la raison, du coup les quelques touristes post-Covid se retrouvent en berne.

Labuan Bajo sur l’île de Flores, au fond à gauche le parc de Komodo

Labuan Bajo sur l’île de Flores, au fond à gauche le parc de Komodo

Le phinisis des superlatifs !

Le phinisis des superlatifs !

De notre côté nous avions déjà décidé d’éviter le parc et puis on a vu les dragons de Komodo dans un documentaire de David Attenborough, un charismatique naturaliste britannique et c’est bien suffisant. On part toujours du principe que le simple accès à la nature (sans service) doit rester gratuit, sinon on s’abstient.

C’est aussi pour une raison éthique – les prix des visas ont augmenté d’un facteur 12 post-Covid – que nous nous retrouvons en Indonésie dans la situation inconfortable du clandestin et c’est pourquoi je ne publie pas la trace du bateau sur la Google Maps car elle évite soigneusement tout les ports d’entrée indonésiens. Le coût des formalités de clearance en 2022 est tel qu’il relègue l’Australie ou les Etats-Unis au rang de petit joueur, pas question de participer à cette piraterie institutionnalisée dans un pays où l’on mange au « restaurant » pour 1€/pers !

Les excès administratifs en tout genre ont commencé dans l’Ouest du Pacifique avec les Fidji, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et se retrouvent exacerbés en Indonésie avec les conséquences économiques de la pandémie. Face à ces abus récurrents, une certaine désillusion et parce que ma coupe (de stress) est bien pleine, nous avons pour l’instant renoncé au Japon. Il est possible que l’on rentre par l’océan Indien dans un délai raisonnable ou que l’on change encore d’avis.

Le bateau a aussi du jeu dans les safrans, il semblerait que ce soit dû à l’insertion forcée de mèches de safrans en 30,2 mm dans des rotules en Ertalyte en 30 mm. A cause de cette friction excessive, les cages en alu qui renferment les rotules se sont usées prématurément, un problème que nous trainons depuis le début de notre transpacifique. Pour les remplacer il faudrait disquer l’existant et restrater un système neuf avec cages, tubes de jaumière… Je ne me sens pas capable de faire ce job moi-même, alors que ce serait un jeu d’enfant pour les spécialistes des matériaux composites du chantier Marée Haute. En attendant, nous sommes limités dans le nombre de milles que l’on peut faire avant complète dégradation du fonctionnement des safrans et du pilote.

L’envie d’Alaska est toujours présente mais en ce qui me concerne, ma capacité à endurer les conditions de mer et le stress trouve probablement maintenant ses limites. Je me sens aussi un peu « abandonné » et seul car le site internet semble à sens unique si bien que j’ai cessé de l’alimenter et que de toute façon on n’a pas de temps pour ça et c’est aussi quelque chose qui ne me convient pas : les saisons, l’administration et le manque d’argent nous pressent de trop.

Bref, le temps est à la réflexion !

A défaut de Google Maps, je te joints le fichier de notre trace GPS. Tu peux cliquer sur les waypoints pour voir les statistiques de navigation.

Indonésie

Cliquer sur la carte pour ouvrir notre Google Maps sur l’Indonésie.

Le 10 juillet en début de nuit (jour 5) au Sud de la Papouasie/Nouvelle Guinée, tu verras un bref louvoyage du bateau : notre trajectoire a croisé la route de trois filets dérivants.

Eclairé au projecteur par Carina, j’ai du plonger dans une mer agitée pour nous dégager au couteau du premier. On a essayé de contourner le deuxième en tirant des bords mais il dérivait sur nous plus vite que nous ne progressions face au vent. Ses balises AIS, placées tout les milles, n’arrêtaient pas d’apparaître à l’écran (on a appris après-coup qu’ils font 20 nautiques de long !) alors j’ai décidé d’affaler et de nous laisser prendre mais cette fois-ci bien perpendiculairement. Oh miracle, le filet passe dessous glissant le long des quilles – merci à l’architecte Pierre Rolland pour le voile de quille en biais et le bulbe en L ! Idem pour le troisième filet mais à 5-7 nœuds car nous l’avons vu trop tard. Une expérience que je ne voudrais pas renouveler d’autant plus que l’enduit des quilles a souffert.

FAD mouillé par plus de 1’000 mètres de fond !

FAD mouillé par plus de 1’000 mètres de fond !

Pirogue de pêcheur à double motorisation et double balanciers

Pirogue de pêcheur à double motorisation et double balanciers

L’Indonésie est aussi pleine de pêcheurs en pirogues à balancier et de FAD (Fish Attracting/Aggregating Device) qui rendent la navigation de nuit hasardeuse. Le vent est faible ou absent, il faut jouer avec la brise établie entre 10:00 et 16:00, notre génois est au chômage au profit du gennaker. Dans ces conditions, nous pouvons espérer faire 20 Mn/jour environ. La pollution est terrible, tout les déchets vont à la mer – un geste naturel pour un indonésien – plastique, bois nous environnent et les bouteilles de bière en verre tapent sur la coque régulièrement. Les gens sont sympas quand ils n’attendent rien de nous – ils peuvent être oppressants dans certains endroits très touristiques – et on a eu des échanges intéressants avec ceux qui parlent anglais.

Voilà pour ces quelques news pour l’instant pas super joyeuses.

Ton fiston,

Christophe

A suivre…








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La trace GPS du bateau et nos waypoints d’escales en Indonésie sont visibles et téléchargeables gratuitement à partir de cette carte du voyage interactive. Sur un fond d’images satellites, vous pouvez zoomer, vous déplacer et cliquer sur les traces et les escales de L’Envol pour obtenir plus d’information.

Article prêt à publier le 3/09/2023. Ecrit et documenté depuis L’Envol, rio Paraiba, village de Jacaré, proche villes de Cabedelo et de Joao Pessoa, Brésil, GPS 7 2.2 S 34 51.46 W

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